Toutes les mamies, y compris celles qui n'étaient pas particulièrement qualifiées pour le job au départ.
"Maman, j'attends un bébé", dit ma mère à la sienne, la voix étranglée d'émotion.
"Et bien, alors, ne compte pas sur moi pour te le garder ensuite", cri du coeur de ma future mamie côté-maman....
Ca aurait pu démarrer mieux...
La sage-femme qui suivait maman a séché ses larmes. "Vous savez, il y en a qui disent ça... aucune importance... attendez un peu qu'il soit né (j'étais supposé naître mâle) et vous allez voir..."
A ma naissance, les deux futures mamies, côté-maman et côté-papa, penchées sur la chose velue et hurlante. Cri force sirène d'usine déjantée de la mamie côté-maman : "c'est une petite fiiiiiiiiiiillllllllllllllllllllllllle !"
Et l'on voudrait que mes deux oreilles fonctionnent ;)
Aussitôt kipnappée par la mamie côté-maman. "Toi, retourne travailler" à ma mère, "je m'en occupe !". On peut dire que la mamie côté-maman, elle était un peu spéciale dans le genre relations mère-fille.
L'autre mamie, je ne m'en souviens pas. Elle est partie bien vite. Hélas ! Elle avait, parait-il, une façon bien à elle de balancer mon petit berceau qui, sans pareille, arrivait à me plonger dans des hébétudes prolongées...
La mamie, côté-maman, a été ma maman par procuration pendant 17 ans. Puis je suis partie. Mais 17 ans de mamie non stop, ça ne s'oublie pas.
Tous les moments de total amour qu'on a pu avoir ensemble. Toutes les scènes épouvantables aussi. Tout ce que je sais aujourd'hui, ma main verte, mon amour de la vie, mes caprices abominables, mes charmes et mes délires, je les tiens d'elle.
Toutes les manipulations aussi vis-à-vis de maman, prenant toujours ma défense devant celle qui, à ses yeux, ne comprenait rien à "la petite" (et pour cause, pauvre maman avait été "soulagée" de son bébé à la naissance).
Toutes les larmes qui me brûlent encore le nez au moment de ces lignes quand je pense à elle... que j'ai tant aimée et à qui j'en ai fait voir de toutes les couleurs.
Et pas les plus tendres ni les plus pastels !
Elle est partie en 1982. En maison de repos après une crise cardiaque. Maman allait la voir tous les jours. Moi, bien entendu, j'avais autre chose à faire. Cruauté de la jeunesse. D'ailleurs, quand j'allais la voir, je faisais des réflexions. Je n'étais pas gentille. Qu'est ce que je peux être nulle quand je m'y mets !
Une nuit, toute seule, elle s'est vue mourir. Toute seule. Elle a dû pleurer. Tant et tant. Il y avait des larmes séchées sur ses lunettes, posées sur le drap.
Au matin, elle était si belle, si fraîche, que maman a sorti un miroir pour s'assurer qu'elle était partie et qu'elle ne faisait pas que dormir... Ces détails qui restent là, plombés dans l'estomac à jamais.
Depuis, je n'ai jamais arrêté de pleurer. Amèrement. Des larmes brûlantes, de violence et de désespoir.
J'aime toutes les mamies du monde.
Toutes les mamies adorables ou indignes, courageuses ou absentes, généreuses ou mondaines. Je m'en fous. Je les aime.
J'ai aimé les mamies de tous mes petits copains, les mamies des amies, les mamies de mes deux époux.
La mamie de mon Steph, j'aurais tout fait pour elle. Elle devait se demander, vieille dame américaine entourée d'une floppée d'enfants et petits-enfants, ce que cette française d'âge mûr lui voulait, à être tout le temps dans ses jupes !
Elle est partie à son tour il y a deux ans.
Depuis, on évoque souvent les petits souvenirs d'enfance qu'on a eus avec Steph. On a les mêmes. Sauf que lui était bien plus gentil que moi avec sa mamie.
J'étais une jeune fille très conne...
tableau de Philippe Kayser, Mamie Manon
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