Mai 68 : "libérez l'expression !" fleurit sur les murs de la capitale. J'ai vainement cherché les graffs de l'époque. A vos loupes, les Sherlock, si vous trouvez quelque chose, pensez à moi ;)
2007 : état des lieux d'un aussi génialissime slogan : si l'expression coule à flot et de tous les orifices, la liberté et les mots ne sont plus ce qu'ils étaient dans les rêves des années 60... > Entretemps, discrimination positive, droit à la différence et consensus mou contre les mots qui "fâchent" ont dressé des barreaux vertigineux autour du parler vrai. Créant, à mon sens, exactement l'effet inverse du but initialement recherché de raccrocher les wagons de la mosaïque des individus.
Je vous passe les désormais incontournables : personnes à mobilité réduite, mal-voyants et mal-entendants, de petite taille, afro-américains et familles mono-parentales, pour désigner autant d'handicapés, culs de jatte, aveugles, borgnes et ultra-myopes, durs de la feuille, nains, blacks et mères célibataires...
Les chauves échappent encore au formatage verbal. Dégarnis du bulbe ils sont, mais chauves ils demeurent. Qu'ils en profitent surtout, car cette omission ne saurait durer !
Dans l'expression mode 2007, on évoque à présent les individus à l'aune de leurs "problèmes" divers. "J'ai un problème donc je suis ?"
On ne dit plus gros, ou obèse, ou anorexique, mais personne ayant un problème de poids. Amusante périphrase ! Car, mis à part les anorexiques qui ont un vrai problème, mais pas de grammage, je connais quant à moi une palanquée de gros, grasses et obèses qui ayant triomphé du lavage de cerveau général, vivent en harmonie avec les bourrelets, poignées d'amour, capitons et rondeurs ici et là répartis sur toute leur voilure.
Mais gare à l'armée des censeurs, des formateurs, des marketeurs et des psychologues, tapie dans l'ombre, prête à vous planter les banderilles de vos innombrables singularités / assimilées à des problèmes, dans le cul !
Par quelle circonvolution mentale passe-t'on de l'état "individu lambda comportant des signes particuliers" à "individu ayant un problème de..." ?
L'ordinaire, la norme, aspirent à ce que nous soyons blancs, hommes, de 25 à 40 ans, CSP supérieure, marié, doté de deux enfants, un garçon, une fille.
Dès lors, passé le cap des 80 kgs ...
ou des 40 ans et abordant, dans ce cas, les rives de la séniorité -car, si on n'ose plus dire "les vieux", on ne se gène pas pour appliquer le label senior à un individu dès sa quadrature et le classer "poubelle" promptement !!!- on peut se demander si on n'a pas, tout soudain, un problème avec... son âge ?
Je vais verser dans l'égotisme égocentrique : n'ayant pas de litige C/ ma balance, je vais donc évoquer la problématique dans laquelle je devrais normalement sombrer en cette époque formidable où tout un chacun figure rapidement dans une catégorie à problèmes...
"Je tente sans succès d'avoir un bébé. Une gynéco parisienne très connue me jette à la gueule sans avoir fait le début d'un tout premier examen : "mais, Madame, c'est votre âge, vous savez !". Votre âge ! Votre âge !
Steph et moi regardons du côté de l'Australie, si on pourrait peut-être s'y installer. Impossible ! A partir de 40 ans, chaque année rajoute un nombre de points négatifs au dossier ! Votre âge, votre âge !
On prend un emprunt pour notre maison et hop, les primes d'assurance s'envolent. Votre âge, votre âge !!!
Côté recrutement, la question qui tue n'est pas : ce que vous savez faire et combien vous coûtez, mais "vous avez quel âge ?" quel âge ? quel âge ?"
Du haut de mes 40 printemps et quelques, toutes mes dents et tension systolique à 12, me voilà devenue, par la grâce du formatage verbal, une senior (olé !!) et le coup d'après siouplé une personne ayant un problème avec son âge ! Problème clairement irréversible et définitif, en outre, hé hé ! A moins qu'on ai quelque chose à me "vendre"... ? Tiens, tiens...
Les paroles emmielées et édulcorées mises au point par les marketos-psycho-censeurs ont enrobé et accompagné la montée en puissance de terribles violences sociales et économiques envers et contre les individus qui "débordent" de la toise normative. Créant des îlots de discriminations sans précédent, car culturelles et échappant à la naturelle nature de chaque individu.
Libérez l'expression aurait dû idéalement se barbouiller comme suit :
Libérez votre cerveau de la pensée des autres !
Ensuite, et alors, libérez votre expression !
Et là, sans doute, les murs de mai 68 auraient pu servir à autre chose qu'à contenir les maisons...
ps : idées en vrac lancées dans ce "billet de retour" : l'expression qui se prend les pieds, la définition des individus par rapport à des particularités discutables et "du temps", une époque ultra-censurée revendicant un état d'indépendance inédit dans l'histoire de l'humanité, un rapport à l'autre violent voire cruel en parallèle à l'avénement du marketing et de la psycho tous puissants...
les rêves envolés...
Billet inachevé et incomplet, comme dirait Zablo.
A vous de voir, d'enrichir, de démolir, de débattre, de "dire". Ensemble.
Car la Terre est définitivement plus belle que le Paradis... non ? ;)
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