Lors de ma journée en Sorbonne pour assister à la première grande table ronde du Collectif Green Is Beautiful, Julien Delord, du Konrad Lorenz Institute a soulevé une intéressante question lors de son intervention sur "les extinctions d'espèces ou les méandres écologiques".
L'histoire du Dodo mauricien est révélatrice d'un certain état d'esprit face aux espèces vivantes, qu'elles soient de nature animale ou humaine : la recherche de la justification de leur extinction.
Petit rappel historique : le Dodo ou dronte mauricien, gros oiseau marcheur ne pouvant voler (à l'instar de l'autruche, du kiwi, du casoar), a été victime de l'arrivée des premiers colons hollandais, dans les années 1600 et totalement éradiqué en 1690.
Au 19ème siècle, Bory De Saint-Vincent (naturaliste et officier de marine) mène l'enquête sur cette infortunée créature et se penche sur les représentations graphiques de cet animal. Il constate rapidement qu'au début de la colonisation de l'Ile Maurice, les artistes représentent très précisément le Dodo. Mais au fil des années et de sa raréfaction, sa représentation devient... caricaturale.
Les dernières représentations le montrent définitivement grostesque et balourd, affublé d'un énorme bec affreux et de yeux ronds assez méchants.
Une façon de "dire" : cet animal a disparu car il semblait vraiment trop mal conçu pour survivre.
Grâce à l'inesthétisme ou l'inutilité à priori de la créature, la déculpabilisation de l'exterminateur est garantie !
De la même façon, les mammifères marins (émouvantes baleines, gentils dauphins, si beaux et tellement copains avec les hommes) font l'objet d'un semblant de protection de notre part depuis des années, alors que nous commençons à peine à nous préoccuper de la place essentielle et du sort tragique des requins, bien vilains et si méchants !
Pour ce qui est de l'espèce humaine, il suffit de jeter un regard sur les oeuvres naturalistes des découvreurs et des conquérants pour constater que les indigènes n'entrent pas dans les canons de l'esthétique occidentale... Dépourvus de beauté, d'âme et de fait d'humanité, on peut en disposer au même titre qu'un matériel (matériel humain). Pratique et efficace. D'autant que si ce matériel disparait après qu'on l'ai fait trimer à en crever, on met la main sur son territoire et ses ressources en éradicant tout problème de voisinage... !
Remontant encore plus loin, que n'a-t'on pas dit et écrit sur l'homme de Néandertal, qui n'a pas survécu à l'extension homo sapienne, par manque de résistance aux maladies tropicales amenées par les Homo Sapiens, pour cause de stérilité, ou par archaïsme et bêtise, ou autre....
Tout en représentant ce cannibale primitif doté de traits peu flatteurs.
Eliminer un rival gênant est particulièrement difficile à admettre, il faut bien en trouver raison.
Il aura fallu attendre l'après Seconde Guerre Mondiale, pour que scientifiques et naturalistes commencent à se pencher, objectivement, sur la question de l'accroissement et de l'extinction des espèces, puis que la notion de biodiversité fasse enfin son apparition dans les années 80.
La biodiversité désigne la diversité du monde vivant, y compris l'homme, au sein de la nature et suggère que toute espèce a sa place et son utilité au sein d'un système, même si cette utilité nous échappe à priori.
L'histoire montre que depuis la Renaissance, une sensibilité à la survie des espèces a existé mais pas en continu. Rien n'est jamais acquis, je le répéterai souvent !
Actuellement, nous connaissons une phase ascendante dans notre prise de conscience et nos tentatives de protection de ce qui peut encore l'être. Il faut garder à l'esprit que toute tendance, aussi objective et fondée soit-elle, peut néanmoins à tout moment se retourner...
Avis aux atypiques, aux différents, aux "inutiles", aux invisibles, aux "moches", aux étranges : que vous soyez humain ou animal, ne relâchez jamais votre vigilance.
Le besoin de l'homme de réduire l'autre à sa mesure est si grand, et sa capacité à mépriser et se justifier en rejetant la faute sur sa victime si bien rodée...
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