J'étais à deux doigts d'intituler ce post "Iranians love their children too"...
... Histoire de dire qu'il est bon de ne pas confondre tout un peuple avec un leader populiste et révisionniste... (certes, "après tout, ils l'ont élu", mais rappelons-nous comment ils ont pu en arriver là...).
Donc, l'an nouveau est presque là... Les chrétiens se préparent à fêter Noël, les juifs célèbrent actuellement Hanukah (la fête des lumières) et bientôt Rosh Ashana et les musulmans ont leurs propres célébrations, dont Muharram, en janvier.... Et puis les autres font ce qu'ils veulent ou peuvent :)
Bien sûr, ces célébrations ne correspondent pas à notre calendrier grégorien et s'avancent, pour certaines, jusqu'au printemps.
Mon ami Ali Hossein Zadeh a bien voulu jouer le reporter pour nous faire découvrir, depuis Téhéran, la fête de Norouz (now = nouveau, rouz = jour), ou fête du nouveau jour.
Petit rappel : les iraniens sont des perses et non des arabes et leurs fêtes et traditions sont très différentes dans leurs origines et leur signification.
En fait, Norouz est sans doute la célébration du passage à l'an nouveau la plus ancienne au monde, datant de plus de 6000 ans !
Elle remonte bien avant l'Islamisation du pays (637-651de notre ère) et le peuple Iranien a pu la sauvegarder malgré les invasions et les aléas de sa longue histoire.
Norouz a été célébrée dans toutes les grandes cultures de la Mésopotamie (région berceau de l'écriture : lire à ce propos le superbe bouquin de Georges Jean : "L'écriture, mémoire des hommes") : Sumériens, Babyloniens, dans l'ancien Royaume de Elam au Sud de la Perse et chez les Akkadiens.
La fête de Norouz aujourd'hui, avec ses caractéristiques uniquement Iraniennes, est célébrée depuis 3700 ans.
Elle est très profondément ancrée dans la tradition de la croyance Zoroastrienne, sans doute l'un des premiers monothéismes au monde (le prophète Zoroastre aurait vécu entre 10 000 et 400 avant notre ère....faites vos jeux !).
Les cérémonies de Norouz sont des représentations symboliques de deux oppositions aussi anciennes que l'humanité : la fin et la renaissance, ou le bien et le mal.
Norouz commence le premier jour du printemps. En fait le premier jour astronomique du printemps : chaque année, elle peut commencer à une date et une heure différentes, entre le 19 et le 21 mars, très précisément déterminées par astronomes et universitaires, coïncidant avec l'équinoxe du printemps. Ainsi, les Iraniens savent, à la minute près, quand commence la nouvelle année.
7 aliments sacrés et 8 éléments :
Quelques jours avant la nouvelle année, au sein de chaque maisonnée, une couverture spéciale est étendue sur un tapis (persan :) ou une table. Cet autel de cérémonie s'appelle Sofreh-ye-haft Sin (sofreh = aliments, haft = 7, sin = "s" du pluriel). Il accueille :
Les 7 aliments sont :
- le Sabzeh : graines ou lentilles germées pour la renaissance ;
- le Samanu : gâteau à base de pousses transformées en crème, représentant la nouvelle vie ;
- le Seeb : pomme pour la santé et la beauté ;
- le Senjed : fruit sucré et séché du lotus, représentant l'amour. On dit que lorsque le lotus est en fleur, son parfum et ses fruits rendent les hommes fous d'amour et oublieux de tout le reste ;
- le Somagh : baies de sumac, pour la couleur du ciel au levant. Avec l'apparition du soleil, le bien triomphe sur le mal ;
- le Serkeh : vinaigre, symbole d'âge et de patience ;
- le Seer : aïl, qui en Perse, symbolise la médecine.
Pourquoi 7 ? En Perse, c'est un nombre sacré avec les sept grades initiatiques du culte du dieu indo-iranien Mithra : corbeau, griffon, soldat, lion, perse, héliodrome -ou courrier du soleil-, et enfin père.
L'échelle cérémonielle a sept échelons, chaque échelon fait d'un métal différent.
En gravissant cette échelle cérémonielle, l'initié parcourt les sept cieux, s'élevant ainsi jusqu'à l'Empyrée (du grec "empyros" ou enflammé, c'est la partie la plus élevée du ciel, regardée comme le séjour des divinités célestes ou des bienheureux).
Encore aujourd'hui, en Iran, au moment de l'accouchement, on place sur une nappe une lampe allumée et on garni la nappe de sept sortes de fruits et de sept espèces de graines aromatiques.
L'enfant reçoit généralement son nom le septième jour.
Les 8 éléments sont :
- quelques pièces pour la prospérité et la richesse ;
- un panier d'oeufs peints pour la fertilité ;
- une orange de Séville flottant dans un bol d'eau représentant la Terre flottant dans l'espace !
- un poisson rouge dans un bocal qui représente la vie ;
- un flacon d'eau de rose, connue pour ses pouvoirs magiques de purification ;
- un pot de jacinthes ou de narcisses en fleur pour faire joli !
- un miroir pour représenter images et réflections de la création, alors que se maintiennent les anciennes traditions perses et la croyance selon laquelle la création a eu lieu le premier jour du printemps ;
- enfin, de chaque côté du miroir, deux chandeliers portant autant de bougies que d'enfants dans la maison. Ces bougies symbolisent la lumière et le bonheur.
Dès que la radio ou la télévision annoncent l'arrivée de Norouz, les familles visitent leurs anciens et échangent cadeaux et argent. On répand de l'eau de rose et on brûle de l'encens, histoire de garder le mauvais oeil à l'écart.
On mange du Sabzi Polo Mahi (riz aux herbes accompagné de poisson fumé ou grillé), puis du Reshteh Polo (riz et pâtes).
Le treizième jour de la nouvelle année s'appelle le Sizdah bedar.
Tout le monde quitte la ville et part dans la nature pique-niquer. On chante, on danse, on répand les graines germées afin de regénérer la nature et de se débarrasser aussi des mauvais sorts que le grain aurait pu accumuler dans la maison.
Ce treizième jour est issu de la croyance des Perses anciens selon laquelle les douze constellations du Zodiaque contrôlerait chacune : un mois de l'année, et la Terre pour mille ans.
A la fin des temps, le ciel et la terre disparaitrait dans le chaos...
Donc, ce treizième jour représente le jour du chaos, où l'on oublie l'ordre ambiant et où l'on échappe au mauvais sort associé au chiffre 13, en sortant de sa maison.
Quelques jours avant Norouz, a lieu la fête de Chaharshanbeh Soori, qui signifie "mercredi rouge et enflammé".
Cette tradition a lieu, grosso modo, le dernier mardi ou mercredi de l'année finissante et donne lieu à de grands feux de joie. Bien sûr, il est alors question de sauter autour et au-dessus des feux ! Ce rite de purification permet de se débarrasser des maux de toutes natures.
On chante aussi, et beaucoup, des trucs qui tournent autour de Sorkhi-e to az man : "donne moi ta belle couleur rouge" et Zardi-e man az to : "et reprends ma maladive pâleur !"
Au moment où l'Occident se lance dans une fin d'année sous le signe de la fête du "matériel" plutôt que de "l'humain", il est rafraîchissant de voir des traditions millénaires subsister avec autant de signification et donc de vitalité. Les Iraniens aux quatre coins du monde célèbrent Norouz de la même façon, au même moment, en communion et en réseaux (étudiants sur les campus, communautés expatriées ou exilées, etc...).
Conclusion un poil géo-politique : je salue le vote massif et les résultats des dernières élections en Iran, ainsi que le message que cette nation tente d'envoyer à l'Occident.
Faut-il frapper l'Iran d'ostracisme, comme le suggère Daniel Shek, dans Libération : "Isoler ce régime qui a rompu avec la famille des nations, jusqu'à ce qu'il renoue avec les règles qui fondent cette famille. Le peuple Iranien le mérite. La paix du monde l'exige."
Afin d'enfoncer le clou...
Certes, frapper le régime actuel d'ostracisme, mais pas le peuple, si possible.
Comment faire pour dissocier l'un de l'autre et appliquer une méthode tant soit peu équitable ?
L'embargo, par exemple, frappe le peuple de plein fouet mais pas les dirigeants qui, au contraire, y trouvent une occasion de se livrer à des trafics enrichissants.
On voit où le manque de solutions et de nuances en la matière a abouti pour un peuple Irakien martyrisé.
Ce billet est également consultable sur le Blog Bellaciao
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