"Du lundi au vendredi, je me lève tous les jours à la même heure.
Lorsqu’ils sont là, Hamid et Yacine, mes deux frères dont je partage la chambre, continuent de dormir. Hamid est étudiant aux Beaux Arts. Notre frère aîné, qui nous héberge tous les trois, trouve qu’il a de mauvaises fréquentations. Notre beau-frère travaille aux RG. Il est venu un soir à la maison et s’est entretenu en secret avec mon frère aîné. Mais j’ai capté quelques bribes de la conversation. Hamid fréquenterait des communistes, qui ont fondé un parti, et ils sont tous surveillés. Yacine vient de terminer une formation dans les forages. Il a à peine commencé à travailler, que l’armée s’est souvenue de lui. Il est actuellement au Service National.
Quand je passe devant la cuisine pour aller faire ma toilette, Kmar, ma belle-sœur, est déjà en train de préparer le café. Par jour de beau temps, elle m’envoie chercher en même temps que le lait, du pain et parfois 50 grammes de beurre. Les autres jours, c’est selon : soit on se met à griller du pain rassis, soit je ne vais que pour acheter le pain ou le lait, ou les deux, soit elle me demande d’aller faire crédit pour le café, le lait, parfois avec le beurre, chez le mozabite, qui tient boutique juste en bas de l’immeuble. Mon frère aîné a une bonne situation, mais les années maigres ont habitué Kmar à être très économe.
Avant de prendre le petit déjeuner, ou bien après, Kmar et moi nous adonnons à notre combat quotidien : éliminer les cafards qui ont réussi à pénétrer durant la nuit dans l’appartement. Ce sont des cafards d’une taille remarquable. Certains d’entre eux dépassent les 5 cm de long. Une fois qu’on a liquidé les éclaireurs, on s’attaque aux troupes en embuscade. La cuisine dispose d’un petit vasistas qui donne dans une courette intérieure. En règle générale, ils s’introduisent par là. Les plus téméraires passent par l’escalier de l’immeuble. A l’aide d’un balai, on se met à repousser leurs assauts. Parfois, j’aime regarder la manière dont ils planent pour redescendre trois étages plus bas, suite à mes coups de balai. C’est qu’ils ont des ailes, ou du moins quelque chose qui y ressemble.
C'est ma cinquième année dans ce lycée. J'y suis entré en quatrième. Il est à trois kilomètres de chez moi. J'y suis allé presque tout le temps à pieds. Quatre allers-retours par jour, car je rentre déjeuner, soit une moyenne de cinquante kilomètres par semaine. J'ai calculé le kilométrage que j'ai fait depuis que je vais dans ce lycée : environ huit mille kilomètres, c'est-à-dire le trajet d'Alger jusqu'au Cap de Bonne Espérance.
Il se trouve à la frontière entre la Casbah et Bab El oued...."
---------------------------------------
Contexte : l'Algérie des années 60
Extrait d'un texte original d'A. Zerrouki
Oeuvre de Farid Benyaa "Equilibre", visitez sa galerie
Alors... avez-vous envie de connaitre la suite ?
Les commentaires récents