Ils rentraient en voiture d'une visite dans une fonderie de Derby qui venait d'être reprise par des raiders.
Tous les deux ou trois kilomètres, ils passaient devant la même affiche gigantesque collée sur des panneaux publicitaires ; c'était une photo représentant un grand morceau de soie pourpre ondulant au vent dans lequel il y avait une petite fente, comme si on avait déchiré l'étoffe avec un rasoir. Il n'y avait rien d'écrit sur la publicité, sauf l'avertissement d'usage du ministère de la santé contre le tabagisme. [....]
C'était, à un premier degré, une sorte de charade. En fait, avant de pouvoir la décoder, il fallait d'abord savoir qu'il existait une marque de cigarettes appelée Silk Cut. L'affiche donnait une représentation icônique du nom manquant, tel un rébus. Mais l'icône était aussi une métaphore.
La soie chatoyante, avec ses courbes voluptueuses et sa texture sensuelle, symbolisait manifestement le corps féminin, et la déchirure elliptique, mise en relief par la couleur plus claire que l'on voyait à travers, était plus manifestement un vagin. La publicité faisait ainsi appel aux pulsions à la fois sensuelles et sadiques, au désir de mutiler et de pénétrer le corps féminin.
Vic, à qui elle exposa son interprétation, fut très choqué et se moqua d'elle en bafouillant. De toute façon, il ne fumait pas cette marque, mais c'était comme s'il sentait que toute sa philosophie de vie était menacée par l'analyse que Robyn venait de donner de cette publicité. "Il faut que vous ayez l'esprit tordu pour voir tout ça dans un bout de chiffon totalement inoffensif", dit-il.
"Qu'est ce que ça veut dire alors", dit Robyn en le mettant au défi. "Pourquoi utiliser un bout de tissu pour faire une publicité de cigarettes ?"
"Et bien, c'est ce que leur nom veut dire, pas vrai ? Silk Cut. L'image représente de la soie coupée. Ni plus, ni moins."
"Et si on s'était servi d'une photo représentant un rouleau de soie coupée en deux - est-ce que ça marcherait aussi bien ?"
"J'imagine que oui. Pourquoi pas ?"
"Et bien non, parce que ça aurait l'air d'un pénis coupé en deux, voilà pourquoi."
Il se força à rire pour dissimuler sa gêne. "Pourquoi les gens comme vous sont-ils incapables de prendre les choses telles qu'elles sont ?"
"Qui ça, les gens comme nous ?"
"Les grosses têtes, les intellos. Vous n'arrêtez pas de chercher le sens caché des choses. Pouquoi ? Une cigarette, c'est une cigarette. Un morceau de soie, c'est un morceau de soie. Pourquoi ne pas en rester là ?"
"Quand on représente une chose, elle acquiert alors une signification nouvelle", dit Robyn. "Les signes ne sont jamais innocents. C'est cela que nous enseigne la sémiotique."
"La sémio-quoi ?"
"La sémiotique. L'étude des signes."
"Je crois plutôt qu'elle nous enseigne à avoir les idées mal placées."
"Pourquoi alors pensez-vous qu'on a nommé ces satanées cigarettes Silk Cut pour commencer ? Cut a quelque chose à voir avec le tabac. Ca renverrait à la façon dont on coupe la feuille de tabac. Comme dans le nom du tabac "Player's Navy Cut" que mon oncle Walter fumait autrefois."
"Oui, et alors ?" dit Vic prudemment.
"Or, la soie n'a rien à voir avec le tabac. C'est une métaphore, une métaphore qui signifie quelque chose comme "doux comme de la soie". Un jour, quelqu'un dans une agence de publicité a imaginé le nom "Silk Cut" pour impliquer que cette cigarette ne vas pas vous donner le mal de gorge ou une toux sèche ou encore le cancer du poumon. Malheureusement, au bout d'un moment, le public s'est habitué au nom, le mot "Silk" a cessé de signifier quoi que ce soit, alors la firme a décidé de lancer une campagne publicitaire pour revaloriser la marque. Un petit génie de l'agence a eu l'idée de faire onduler la soie et d'y mettre une déchirure. La métaphore de départ est maintenant représentée de manière littérale. Mais de nouvelles connotations métaphoriques viennent s'y ajouter - des connotations sexuelles. Que tout cela ait été voulu ou non d'ailleurs, peu importe. Voilà un excellent exemple de la dérive du signifié sous le signifiant."
Vic rumina cela un instant, puis il dit "Pourquoi les femmes en fument-elles, alors ?" Son air triomphant démontrait à l'évidence qu'il considérait cela comme un argument massue. "Si le fait de fumer des Silk Cut est un viol flagrant, comme vous le prétendez, comment se fait-il que les femmes en fument aussi, alors ?"
"Beaucoup de femmes sont masochistes par tempérament", dit Robyn. "Elles ont appris ce qu'on attendait d'elles dans une société patriarcale."
[...]
"J'en ai assez entendu pour aujourd'hui," dit Vic. Vous me permettez de fumer ? Une bonne petite cigarette bien de chez nous ?"
"Oui, si vous me permettez de mettre Radio Classique", répondit Robyn.
Alors, petit quizz à ceux et celles qui sont arrivé jusqu'ici >> ça se passe dans quel bouquin cette fort intéressante affaire ?
Je vous aide : auteur anglais very connu, titre en forme de jeux de mots...
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