Aube sale aux travers des vitres. Je suis dans le bus qui m'emmène chaque matin de ma banlieue à mon boulot près de la Tour Eiffel. Dans ce bus, les mêmes personnes tous les jours. Dont une fille assise à mes côtés. Elle bosse dans la même boîte que moi, mais elle a eu la chance de se faire muter au siège où il se passe toujours quelque chose de plus intéressant que dans ma triste filiale.
Ce matin, elle m'annonce qu'elle va visionner, une fois de plus, un film qui a été vendu sous le manteau à 12 millions d'exemplaires rien qu'en France, mais que tous les distributeurs de cinéma et les chaînes de télévision ont refusé de diffuser. Il dévoile un terrible secret et en suggère les conséquences.
Elle m'invite à venir avec elle. Ni une ni deux, l'idée de sécher une journée d'ennui à mon poste et de faire partie des "initiés" attise une intense curiosité.
Je ne sais pas dans quoi je me suis fourrée...
Nous arrivons dans une salle de visionnage, 5 ou 6 autres personnes, sont déjà installées. Elles travaillent toutes au siège. Une fois de plus, je les envie...
Le film commence. Et immédiatement, je suis dans l'écran, l'un des personnages. Une scientifique, jeune, stagiaire sans doute. Affolée, je cours partout une serviette éponge à la main. Elle est beige avec de curieuses tâches rosâtres. J'enjoins à tout le monde de ne toucher ces tâches à aucun prix, sous peine de mort immédiate.
En effet, je fais partie d'une équipe de chercheurs dédiée aux virus foudroyants. Et nous venons de découvrir un nouvel ennemi, tapi dans ces tâches. On les touche et c'est la mort en quelques minutes. D'ailleurs, une collègue vient par accident de mettre la main sur la serviette. Elle la jette au loin en hurlant, mais commence à se sentir "bizarre", puis vire au bleu et tombe, foudroyée à mes pieds. Je suis en état de choc. Terrorisée. Ne sachant plus que faire pour empêcher à l'espèce humaine, toute entière, de connaître une fin aussi définitive.
Mais à mes côtés, se tient un docteur, tout en blanc, une seringue à la main. "Nous venons de trouver le vaccin contre ce virus, essayons sur elle, elle ne craint plus rien". Non seulement, la morte retrouve ses couleurs, mais elle ressucite sous mes yeux. Le vaccin ramène les morts ! Nous courons de bureaux en couloirs et piquons à qui mieux mieux tous les morts que nous rencontrons. Et tous et toutes se lèvent, souriants. Je les embrasse, je les serre dans mes bras, je suis tellement soulagée !
Le soulagement est de courte durée. En effet, en serrant les ressucités dans mes bras, je réalise qu'ils sont dotés d'une force hors de la normale... Je serre des mains et ils me broient les doigts. Gênés, ces hommes et ces femmes, de plus en plus nombreux, font attention à leurs mouvements. D'un geste, ils peuvent abattre un mur, d'un éclat de voix, faire exploser les vitres.
Nous les regroupons dans un champ. Il y a des armes, énormes. Ils s'en emparent et commencent à faire joujou avec. Le bruit est étourdissant, mais la réalisation qu'ils peuvent soulever une canonière comme si c'était un crayon me terrifie.
En outre, à présent que nous sommes à l'air libre, nous, les scientifiques, réalisations que nos ressucités, ancien collègues et ami(e)s, commencent à grossir, à grandir, jusqu'à 10 fois notre taille.
Nous sommes soudain comme des brindilles au milieu de géants.
Et nous savons que nous devons fuir, profiter de notre petite taille pour nous glisser dans des trous, ramper et disparaître le plus loin possible. Car les géants, de débonnaires et joueurs, l'espace d'un instant, sont devenus des chasseurs assoiffés de notre chair.
La race humaine, telle que nous la connaissions, est en voie de disparition. Partout des morts ont été rendus à la vie grâce à cet étrange vaccin et ont muté. Nous sommes très peu, pauvres nains, à avoir évité virus et vaccin et luttons pour notre survie.
Ils y a ceux qui se cachant dans les recoins les plus sombres des grandes villes.
D'autres, comme moi, qui choisissent de fuir dans les bois.
Je suis seule sur un chemin boisé. Au loin, j'entends des géants arriver. Heureusement, grands et gros comme ils sont, le tam tam de leurs pas les trahissent. Je me cache dans un trou, mais ils ont senti ma présence. Ils reniflent partout. Manque de me trouver, mais je suis si petite et si ratatinée dans mon recoin qu'ils ne me voient pas et reprennent leur route.
Les géants sont à présent partout, déterminés à détruite tout ce qui reste d'humain sur Terre...
Je me réfugie dans une maison de poupée. C'est la maison de Mickey. Toutes les petites souris sont sur le point d'embarquer dans une voiture pour aller faire un tour. Je me déguise en Mickey et saute à l'arrière.
Les géants regardent passer cet équipage. Sans broncher. Les souris ne les intéressent pas. La voiture s'arrête. Je descends et toujours déguisée en Mickey, me retrouve dans une arrière-cour. Il fait nuit. Par la fenêtre, je regarde à l'intérieur. Un couple de géants attablés et trois petites esclaves, humaines, de jolies négresses qui les servent à table et font le ménage pendant qu'ils mangent. Elles sont terrorisées et roulent des yeux comme des boules de loto. Il faut que je me glisse à l'intérieur pour les délivrer. Mais c'est moi qui manque de me faire attraper par le géant qui lâche son chien sur moi.
Je fuis par dessus la haie. Je saute une deuxième barrière, puis une troisième. Le géant a des yeux lasers qui peuvent m'abattre de loin. Mais il me manque, une fois, deux fois, trois fois. Je vole jusqu'au sommet de la colline et me retrouve sur l'autre versant. Mais je sais qu'il me faut courir encore et encore pour rester en vie.
Je cours, en larmes, et me retrouve assise dans mon fauteuil devant l'écran de fin.
Comment une telle horreur est-elle possible sans que quiconque ne fasse quelque chose pour l'empêcher ? Ma voisine me regarde et me dit, "nous, nous serons sauvés, tout le monde ne peut pas l'être".
Le velours du siège est doux sous ma main, il fait chaud, étouffant dans cette pièce.
Je me réveille, ma couette est lourde sur mon visage.
Il est temps de mettre un terme à cette nuit et aller prendre un café.
Ce matin est un autre jour....
Les commentaires récents