C'est par l'intermédiaire de Yves, du blog Cypress Communication, que j'ai fait la connaissance d'Amina Talhimet qui s'exprime, depuis le Maroc, sur de nombreux sujets d'actualité et d'histoire, qui nous touchent au plus près.
Quand un billet commence ainsi : "Assistons-nous à l’effondrement du monde ? Ces morts, tous ces morts. Irak, Darfour, Nigeria, Somalie, Afghanistan…Ce conflit israélo-palestinien qui n’en finit pas…Cette terreur idéologique qui commence à sérieusement menacer le Maghreb…Puis, ce pétrole et ce gaz, simples accidents géographiques qui continuent de déterminer, l’avenir de chaque habitant de cette Terre.
A ces conflits s’ajoutent les crises des démocraties occidentales. Les grandes idées, les valeurs universelles, celles qui nous apportaient un éclairage sur nous-mêmes, nous permettaient d’avancer, de nous libérer, d’avoir de vrais grands idéaux démocratiques, semblent épuisées. Fragilisées."
... j'ai personnellement du mal à décrocher !
Amina est une femme singulière, cultivée, courageuse : il n'est pas aisé de d'ouvrir et animer de vrais débats de société, culturels, politiques, avec indépendance et franc parler, quand on est femme, dans un pays en crise profonde.
Cath : Amina, tu tiens un blog depuis 2005 avec une analyse sur des sujets tels que la politique internationale, le Maroc, l'islamisme, les "ailleurs". D'où te viens ce besoin de "dire" ?
Amina : Le blog est pour moi une façon de dire "Non" à l'uniformisation du monde. D'expliquer la singularité marocaine. Mon blog est assez politique. Il me ressemble.
Mais, je suis aussi passionnée de Lettres, de musique de Verdi à U2, de Nass el Ghiwane à Jil Jilala (des groupes marocains), de Barbara à Benabar, de Springsteen à Ray Charles...
J'aime aussi le bon café et le bon chocolat. J'aime la télé, les séries américaines, je suis une inconditionnelle de The Shield, de Desperate Housewives et de Columbo...
J'aime l'analyse, la reflexion, je suis réservée, mais pas constipée.
J'aime le cynisme de Desproges, l'humour de Fellag et de Woody Allen.
Je ne me relis pratiquement jamais. Mais je lis attentivement toutes les contributions dans mon blog. Pas pour censurer, mais pour comprendre les frustrations des gens. Mes contributeurs sont souvent marocains et comme la tendance est actuellement au dénigrement de tout (phénomène mondial), j'essaye d'aller à contre-courant.
C'est quand je parle d'Irak, de Palestine ou de terrorisme qu'ils sont les plus nombreux à intervenir. C'est quand je dis qu'un "truc va bien au Maroc" qu'ils participent le moins.
Ce blog est pour moi un minuscule thermomètre de ce que pense l'élite francophone dans le pays.
Pour l'observatrice que je suis, c'est passionnant.
Cath : En fait, te demander de parler de ton blog, c'est finalement te demander qui tu es ?
Amina : Oui, tout-à-fait. Cette expression est importante parce que pour une femme libre et vraiment indépendante, c'est parfois difficile.
Dans mon cas, pour des raisons strictement personnelles, il y a ce qui est communément appelé un "devoir de réserve". Mais, ce que tu dois sans doute savoir, puisque tu blogues, c'est que les "anonymes du Net" sont particulièrement vaches. Parfois j’ai l’impression d’être une extraterrestre, complètement à côté de la plaque !
Beaucoup savent que je suis d'abord et avant tout journaliste, mais ce qu'ils n'arrivent pas toujours à comprendre, et c’est intéressant du point de vue "débat", c'est que je puisse exprimer des opinions sans être "à la solde de qui que ce soit". Et au Maroc "être à la solde de…" cela veut dire cireur de pompe du pouvoir.
Ils ont aussi parfois du mal à comprendre qu'une femme puisse avoir des idées, une personnalité, une histoire...
Dans mon blog, il y a beaucoup de messages subliminaux. C'est assez amusant !
Cath : D'où viens-tu Amina ?
Amina : Ma culture est, on va dire, "occidentale". J'ai été
chouchoutée par des bonnes soeurs à Oujda, ma ville natale , puis au
Pays-Bas et en Belgique dans des écoles internationales.
La Fac, je
l'ai faite au Maroc. Mes études de journalisme aussi.
Je suis marocaine de coeur, j'aime passionnément la France, mais je rêve en plusieurs langues !
Je revendique ma marocanité, parce qu'elle me permet d'être à la fois berbère, africaine, arabe, musulmane et juive.
Dans
mon blog je me bats pour cette identité, pour mieux pouvoir dire "merde"
aux racistes, aux judéophobes, aux communautaristes, à ceux qui cherchent aujourd'hui à nous enfermer dans un monde "arabo-musulman" vague où il n’y aurait pas de Nations.
Cath : Amina, comment vois-tu l'avenir de l'expression libre, via les blogs ou tout autre moyen, dans ton pays et dans les pays du Maghreb en général ?
Amina : Je pense sincèrement que le Maroc se place loin devant tous les autres pays du Maghreb en matière de liberté d’expression. Des couacs, il y en a encore bien évidemment. Mais ce qui était considéré comme un délit grave il y a dix ans ne l’est plus aujourd’hui.
Ce qui reste à définir encore, c’est la clarification des règles du jeu. De part et d’autre.
Deux exemples simples : un journal a-t-il le droit d’être raciste en toute impunité ? Je dis que non.
La justice a-t-elle le droit d’envoyer un journaliste qui n’a pas commis un délit de droit commun en prison ?
Ma réponse est la même.
J’aime l’exemple de la "Press Complaints Commission" britannique, mais je pense que nous avons encore du chemin à faire sur cette question qui dans les faits peut se résumer en deux mots : droits et devoirs.
La presse s’est énormément diversifiée, la libéralisation du paysage audiovisuel marocain a permis à des dizaines de radios de naître.
Côté télé, cela va très vite aussi : exemple, le Maroc est le seul pays arabe à avoir autorisé Al Jazeera à émettre à partir du Maroc pour sa couverture du Maghreb et de l’Afrique. D’autres chaînes arrivent.
Côté blogs, donc Net, je pense que pour le moment le Maroc est l’un des rares pays de la région à ne jamais avoir censuré, ou même légiféré.
Ce qui est intéressant avec les blogs au Maroc, c’est que les bloggeurs sont peu à peu en train de comprendre que la liberté totale est impossible.
Qu’insulter, diffamer, plagier sont inacceptables, donc non–publiables. On va dire que pour le moment nous en sommes encore à l’étape du "Seigneur des Mouches" (Lord of the Flies).
Alors, disons que je suis plutôt optimiste !
- Plus d'infos sur Amina Talhimet :
Le blog d'Amina Talhimet
Journaliste à Libération, Maroc
La journaliste Amina Talhimet blogue
Sur la condition de la femme au Maroc
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