"Cette bourgeoisie de robe, convertie en noblesse, qui a trouvé, avec l'ENA, son instrument de reproduction idéal..."
Le mal est ancien, dénoncé depuis les années 60 pour haute-technocratie imbuvable. Qui, si elle faisait encore illusion durant les 30 glorieuses où même les ânes volaient, ne saurait continuer à perdurer dans un pays dit "moderne, démocratique et en attente de sortie de crise" tel que la France.
Pierre Bourdieu dénonce les tares d'un système inepte et féodal dans le Nouvel Obs en 1989 (voir ICI), comme quoi fouiller dans les vieux papiers n'est pas toujours dénué d'intérêt ;)
A la fois parasite sur le dos du pays et instrument d'une domination injustifiée, cette école, créée en 1945 sous l'impulsion de Maurice Thorez (PCF) et Michel Debré (RPF) avait pour but initial de "démocratiser l'accès aux grands corps de l'état", en formant les administrateurs du pays, c'est-à-dire les hauts fonctionnaires.
Or, administrer en anglais se dit "to manage" qui signifie également "gérer".
Mais alors, comment se fait-il que le niveau de l'ENA ne dépasse pas le niveau des plus faiblards instituts supérieurs de gestion français, en matière de comptabilité, contrôle de gestion, finance, marketing, management et stratégie ?
Que les cadres de l'état ne sachent pas compter, on s'en était rendu compte. A nos dépends. Toujours.
Mais si l'imagerie populaire se résoud en soupirant à l'incapacité chronique de l'administration à tenir les cordons de notre bourse, l'ENA, "école du pouvoir versus école du savoir", constitue une catastrophe dans la gestion et l'innovation au sein des grandes entreprises de notre pays.
Les futurs hauts-fonctionnaires qui en sont issus se retrouvent par je ne sais quelle magie à la tête de grandes entreprises, banque et groupes multinationaux, avec parfois des expériences sur le terrain de... six mois, voire même sans expérience du tout !
Cette lugubre vérité perdure sous la gauche comme sous la droite avec une étonnante continuité, quelles que soient les conséquences et les parfums d'affaires et scandales autour des innombrables énarques, mafia dorée sur tranche, qui fait sa belle dans les salons : faillites du Crédit Lyonnais ou de Vivendi, entre autres tribulations...
Pourtant personne jusqu'ici ne s'est risqué à réformer La Bête ! La raison ? voir plus bas.
Bayrou en a bien parlé durant sa campagne, Sarkozy lui a souhaité bon voyage sur la question, et Royal est issue de ses rangs....
Un effet pervers et puissant est en outre généré par le système : les postes de direction des grandes entreprises se voient fermés à des personnes expérimentées et compétentes, venues d'autres horizons, et largement réservés à une caste monomaniaque dotée d'un puissant réseau de liens politiques et de cooptation. Avec ces gens-là, innovation et création ne sont pas à l'ordre du jour.
Combien de dirigeants issus de l'ENA ont créé et développé avec succès des entreprises significatrices ? quasiment aucun !
Cette école est néanmoins tellement incontournable que l'on voit aujourd'hui des élèves de grandes écoles de gestion en passer à leur tour par l'ENA. Ce qui renforce bien évidemment le complexe de supériorité de ses anciens, totalement déconnectés de la réalité économique et financière.
L'ENA n'apporte aucune valeur ajoutée en matière de progrès et de bonnes pratiques au service de notre pays et de notre économie.
Qu'elle se réforme en profondeur pour devenir enfin un "bon institut de formation interne à la fonction publique", dûment évalué et accrédité au plan français et européen et qu'on s'en tienne là.
Làs, cet outil de reproduction d'un système social de domination a encore de beaux jours devant lui. Indépendamment de ses piteux résultats, sans arrêt dénoncés pour amuser le petit peuple, le clan reste accroché au pouvoir, public et privé.
Pour le plus grand malheur de l'économie française, qui est confrontée aux désavantages du capitalisme sans bénéficier des avantages d'une société ouverte !
Merci à Robert Zrihen, Professeur à l'ESCP-EAP pour sa remarquable analyse, et à Largentula pour son impasse de l'avenir...
> En lire plus ici : "L'ENA est en crise, une crise durable qui atteint cette année des sommets" soulignent les élèves, qui écrivent "ressentir un profond sentiment de gâchis et estiment avoir été insuffisamment préparés aux fonctions qu'ils devront bientôt exercer". "Nous n'acceptons pas que l'ENA dispense une scolarité au rabais, qui n'est que l'alibi d'un concours de beauté organisé par les divers corps de l'Etat" résument-ils (Promotion 2002-2004).
> Quelques têtes à claque, qui tombent et qu'on remet pronto en selle : Jean-Claude Trichet, Jean-Marie Messier, Michel Bon, Jean-Yves Haberer, Jacques de Larosière et TOUS les autres : suivre ICI les pelotes des uns et des autres...
Au coeur de tous les gros scandales puants on trouve tellement d'énarques morgueux, que cela me donnerait le goût de réhabiliter le pilori en place publique....
Bon, puisque vous insistez, je vais faire un 'tit topo prochainement sur mon croustillant ami Alain Minc (promo Léon Blum)
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