Extérieur nuit.
Il pleut par intermittence. Les rues de la grande ville sont illuminées de milliards de prisme, néons, vitrines, cafés, phares de voitures, mais curieusement vides d'humains déambulant sur les trottoirs un vendredi soir.
La voiture tourne et remonte une avenue, ralentit plusieurs fois et freine à la hauteur d'un feu rouge.
En face, une foule subite et immense, couronnée de centaines de parapluie, devant de grands panneaux d'acier.
Au-dessus, comme suspendu dans le néant, un néon mauve avec ces lettres tremblées : d-a-v-i-d-l-y-n-c-h.
La fille sort de la voiture qui redémarre. Elle court à travers l'avenue, se fond dans la foule, se glisse avec une aisance naturelle de l'art de la resquille jusqu'à l'ouverture dans les panneaux d'acier : une mince meurtrière qui fait mois d'un mètre de large.
Elle est éjectée à l'intérieur des barrières, comme un accouchement à rebours.
Des cris s'élèvent derrière les panneaux d'acier, d'exaspération, de souffrance, d'écrasement, de révolte.
Elle appelle l'homme sur son portable :"Où es-tu Sailor ?". "Je n'arrive pas à me garer, nous sommes des centaines à tourner dans le quartier. Ecoute, Lulla, ne m'attends pas chérie, je t'appelle si je trouve une solution. Va, éclate-toi, je te rappelle, je t'aime Lulla".
(interview David Lynch : ci-dessous)
La fille referme son portable et entre dans un lieu étrange : deux univers contraires se contemplent : d'un côté des choses inanimées et verticales, explosants de vie, de mort et d'imaginaire. De l'autres, des choses animées et verticales, dotées de paroles dénuées d'importance.
Brouhaha de foule (bruit de fond : élevage de dindes en batterie) et morceaux de phrases par intermittence :
"mais c'est intense", "pfff, ce sont des croutes", "tu savais qu'il peignait toi ?", "j'ai jamais entendu parler de ce mec", "ton nouveau job, au fait, c'est cool ?", "j'adoooore ses films.... ses peintures, ça pue", "cette musique me décalque", "tu fais quoi ce week-end ?".
La fille se détourne, vogue de cimaise en cimaise, sans s'arrêter. On la suit comme dans un couloir de métro où les affiches défilent les unes après les autres. Elle stoppe net devant un paysage orphelin qui lui rappelle d'avoir été là, derrière la fenêtre. Mais où et quand ? Flash back....
Elle se retrouve à l'entrée et demande à une jeune femme en noir "Où est Monsieur Lynch ?". La jeune femme sourit devant la naïveté de la question et répond, "il arrive d'ici une heure, descendez au sous-sol".
Sous-sol, foule, sombre lumière, au milieu une scène vide illluminée et floue. La fille se glisse de nouveau dans la mélée qui jacasse pour se retrouver au plus près de la scène. Elle ne bouge plus. Une heure passe. Un garçon lui crie à l'oreille "C'est long, j'espère que sa musique sera à la hauteur !". "Sa musique ? mais je suis venue pour écouter ses mots et lui poser quelques questions !" répond la fille. Le garçon la regarde d'un air narquois : "Tu rêves, toi !". Et se met à rire. "On peut toujours rêver non ? c'est Lynch après tout". Un autre mec glisse sa tête au-dessus de son épaule. "Alors, c'est Iggy Pop ce soir ?" ricanne-t'il.
La fille ne répond pas. Elle ouvre son portable et rappelle Sailor. "Ecoute, Sailor, David Lynch va arriver mais c'est long et je ne crois pas que je pourrai lui parler. Qu'est-ce que je fais ?". "T'inquiète Chérie, je suis garé mais ne peut pas laisser la voiture. Prends ton temps. Tu n'as pas fait tout ça pour rien."
Du bruit, des craquements, un rideau latéral qui s'agite et soudain, David Lynch apparait. Quelqu'un lui tient la main, il fait si sombre.
Applaudissements et crépitements de flash.
Il s'assoit, dit quelques mots qui parlent de gouttes d'eau, peut-être...
Touche son clavier au ralenti et égrenne des sons. Les notes donnent l'impression de se battre entre elles pour constituer un corps harmonieux toujours recommencé. C'est douloureux pour certains qui s'en vont, comme dans une fuite.
Il est grave, beau, ému.
Le clavier a disparu.
Son âme est devant lui, il la caresse et se livre totalement à la foule comme il ne s'est jamais livré avant.
Changement de décor : un canapé, un fauteuil, deux corridors au fond de la pièce. David Lynch est assis dans le fauteuil de droite, la fille est assise dans le canapé à gauche. Ils se font face. Il lui sourit. "Well?"
Mister Lynch, I am familiar with your movies, but not so much with your other work. What does this all mean to you?
"Well, Lulla, painting for me is the most extraordinary solitary act that exists. It is a heaven of peace. I think that painting is truly part of our nature. The act of painting will live forever."
Where does a painting come from?
"At the beginning, I have an idea, a little fragment. The story comes from the ideas. I translate the story into a painting, with my own voice true to my ideas. But sometimes the translation of my ideas does not come out the way I expected at the beginning."
Is there a relationship, a common inspiration between your paintings, photos and sketches, and your movies?
"Yes, I am very pictorial in my movies. I let the idea guide me. Everything comes by itself: the actors, the locations, the soundtrack. I visualize the character and then try to get an actor to marry with the first idea. It is the same with locations. I look and look and look again for the perfect location. I never find it, but something that may not be exactly it. Then I dress it up and that's it. As for the soundtracks, I marry it to the world I have created. The universe I have created is the action. The actors, locations and soundtracks are the reaction."
Since you talk about soundtrack and are yourself a composer, may I ask you what is your favorite group at the moment?
"Well, I do not have too much time to listen to other people's creations, but at the moment, there is a group of three girls from Brooklyn called "Au revoir Simone". They have a very French sound, though they come from Brooklyn. Their name refers to a Pee-Wee movie in which one of the character says "Au revoir Simone" at some point. Do you know them? They are very good."
Talking of a group of girls, and more widely about women, do you think there is a feminine mystery?
"There is much mystery in women. They are compelling and beautiful. But again, when I start thinking about a movie, fragments of ideas come to me and there, you see, I do not know whether it is going to be a male or a female character."
Ideas, fragments of ideas, all these seem to be the core of your creative process? Can you tell me more about them?
"Ideas are like cells. First, I have idea number one. I write it down and I shoot it. And then idea number two. I write it down and I shoot it. And then idea number three, etcetera. And then, they show me how they connect to each other, how they are related. This is the way I work. Some people say my ideas come from my dreams. This is not true. Ideas are ideas. They launch the process."
A last question, Mister Lynch. Is your work influenced by the Freudian world?
"Well, let me explain. There is no connection between me and the Freudian world in the sense that my ideas, when they come, have something to do with Freud. It is just that everything has something to do with Freud. There are connections between all things and a unified field in the base of everything. This is why my audience can be personally related to my cinema and interpret my movies according to their own personal experience."
"Emotion is the power of cinema."
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