En 1986, une voiture et deux valises, l'A7 direction Paris.
J'ai roulé sur la passerelle, surplombant le Port sans regrets, mais sans imaginer qu'un livre se refermait.
Ainsi vont les grandes décisions. Elles se prennent sans en avoir l'air.
De temps en temps, au fil des années, un aller-retour pour visiter mes parents.
Mes amitiés marseillaises avaient pour la plupart émigré direction "Le Nord". Ou bien étaient portées disparues entre Cassis et Vars, leur champ des possibles paraissant à l'époque singulièrement étroit.
Puis j'ai senti de loin la ville s'enfoncer, s'exclure toujours plus, le début des années 90 me semblant être le moment où elle a bien dû toucher un fond insoupçonné pour elle, multimillénaire... Marseille.
L'économie traditionnelle tournée vers le port au ralenti, les beaux
quartiers du 8ème et du 7ème retranchés sur eux-mêmes, La Canebière et le centre ville abandonné aux
"hordes" venues des banlieues, elles-mêmes remontées du Maghreb ou d'une Afrique en désérance.
La
montée des tensions et des extrêmismes, l'effondrement de l'espérance, le marché du travail en berne, la nostalgie encore et toujours d'un
passé brillant mais caricatural, remontant avant-guerre...
Quelques courageux se sont, entretemps, sans bruit, introduits dans la place.
Stéphane Peyron, décidément pionnier, et sa maison de production 95°West installée dans les docks immenses et désaffectés. Et puis bien d'autres, peu à peu, profitant d'espaces infinis et bon marché, de l'opportunité de rencontrer des collaborateurs de talent sur place.
Ou d'importer quelques nordistes heureux de voir la mer au bout de leur table et de déjeuner dehors 365 jours par an... sauf les jours de mistral.
En 2001, le nouveau TGV met Marseille à un souffle de Paris. Une heureuse conjoncture avec l'arrivée en masse de nouveaux venus, insufflant à la ville, longtemps farouche à "l'estranger", un air nouveau.
De grands travaux de réhabilitation, notamment et surtout dans la tête des Marseillais qui se mettent à redécouvrir leur ville, leurs rues, la beauté des cours intérieures, longtemps oubliées sous l'habitude et la suif.
Et leur culture, la vraie, mélange d'art de vivre et d'auteurs anciens, bien au-delà des pignolades pagnolesques et du snobisme toc des enfants de savonniers.
Je reviens souvent à Marseille, dans mes rêves ou cauchemars, ma ville à jamais hermétique, mais n'imagine pas pouvoir revivre un jour en un lieu sans repères, aux souvenirs confus.
Néanmoins ce sentiment que Marseille et moi, de loin, avons suivi les mêmes méandres pour se poser aujourd'hui sur la première marche d'une sérénité retrouvée est pour le moins étrange...
Une ville est personnelle à chacun, et n'est pas communicable.
Le premier sentiment, totalement instinctif, animal, déterminera toute l'histoire de celui qui se sent chez lui ou à jamais étranger.
mon école maternelle "de filles", chemin du Roucas-Blanc, une odeur de craie, de sucre et de plastique chaud, celui mon panier à goûter jaune en fausse paille
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