... ou défamiliarisation, pour les intimes...
L'habitude dévore les objets, les vêtements, les parfums, les meubles, votre femme... et la peur de la guerre...
L'art existe pour nous aider à recouvrer la sensation de la vie - Victor Chlovski
Il semble, pour certains, dont je fais partie, que la fonction première et essentielle de la littérature soit d'inciter à la défamiliarisation, en invitant l'esprit à passer de l'autre côté du miroir d'Alice pour habiter un autre paysage.
Vous qui lisez connaissez cela.
Les plages consacrées aux pages sont les lieux les plus salutaires qui soient, rien à voir avec les sables lointains et les cocotiers, illusions de pacotille.
Les pages sont autant de tapis volants sur lesquels chacun va voir midi à la porte de l'autre.
Chacun va s'abreuver de la narration d'un autre en s'appropriant -ou en suivant- l'imaginaire d'un étranger que la réalité de son propre quotidien habituellement ignore.
Lire, c'est arrêter l'habitude, la routine, la contrainte.
Lire c'est la capacité à regarder autrement ou d'un oeil neuf la chose que l'on a devant les yeux chaque jour à tel point qu'on l'a oubliée.
Lire, c'est réellement le fondement de notre humanité.
Priver un homme de lecture, c'est le priver de l'ultime liberté.
Il est des prisonniers, au fond de geôles infâmes, qui doivent leur survie à la lecture et relecture de messages graffés sur les murs de leur prison.
Il est des voyageurs abandonnés au bout du monde qui apprennent tout seul une langue étrangère rien que pour pouvoir lire le seul et unique livre, en un idiome inconnu, qui leur reste.
Ces quelques réflexions sur la littérature s'appliquent aux arts plastiques, pour peu qu'on ait quelque intérêt en la matière (attention, je n'ai pas dit "connaissances"), à la musique (idem), à la création humaine mise à la disposition de tous sur les milliers de kilomètres et d'années de la Grande Bibliothèque du Monde.
Perplexe, je trouve la chose suivante dans un magazine féminin (je m'adonne aussi à ce type de littérature, notamment dans le train, allez savoir...)
"Alexandra (29 ans) revendique une grande constance avec son mari : trois rapports par semaine.
Je ne suis pas compliquée, assure-t'elle, j'ai régulièrement envie. Pas de samedis plus chauds que les lundis ? Pas particulièrement, c'est n'importe quel jour. Le soir, la nuit, le matin. Trois fois par semaine en moyenne, et ça fait onze ans que ça dure".
De trois choses l'une, soit Alexandra ment comme elle respire.
Soit Alexandra est une humanoïde programmée par un fonctionnaire de la science, dénué de la moindre imagination.
Soit Alexandra omet de préciser que son occupation principale est de lire trois bouquins sublimes par semaine, activité lui permettant de se glisser dans la peau d'une héroïne différente tout en découvrant chaque fois un homme nouveau dans son lit.
La troisième option relevant de l'utopie parmi la population des interviewées de "Elle", je redoute tout autant que j'espère que le mensonge a agité sa langue pointue dans les dires de la donzelle.
Tout en songeant qu'au détour de ces quelques mots, je me suis adonnée aussi à une bonne séance de défamiliarisation...
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