Imaginons la situation suivante :
8h15 du matin, au moment de sauter dans la vie, les chiottes se transforment subitement en geyser.
Court court dans tous les sens à la recherche d'une pièce, d'un seau et de quelque chose, n'importe quoi pour arrêter ce flot ascendant et continu.
Les pieds dans l'eau brune, épaisse et pestilentielle, il y a en déjà partout dans l'appart', et adieu mes chaussures, ma jupe, mon pull.
Tout passe au second plan à ce moment-là, patron, carrière, enfants, retraite, brushing : faut arrêter ça !
Le trausme s'arrête, on ne sait pourquoi (inversion des pôles magnétiques ?), mais du fond du cratère, l'oeil qui vous regarde suggère qu'il est prêt à recommencer à tout moment.
On éponge comme on peut d'une main, avec tout ce qu'on trouve. On réalise que la bassine est pleine et où va-t'on jeter cette eau ?
On court dans la cuisine, fouiller parmi les magnets sur le frigo à la recherche de cette bon dieu de carte de SOS A-L'EAU-PLOMBIER !
On attrape tout en le souillant horriblement son téléphone, qui glisse des mains et disparait dans le magma brun. Enfin une tonalité, enfin les touches fébriles, enfin ça sonne, et ça sonne et ça sonne. Clic, ça décroche, disque d'attente, musique new âge, pluie sur les feuilles.
Rhhhaaalllllooooo ? une voix qui roule des graviers
Allo, Monsieur, je suis bien chez le plombier ?
Voui Madaaaame ?
Voilà, Cher Monsieur, pouvez-vous venir en urgence chez moi car j'ai un problème de refoulement dans mes toilettes ?
Ca s'est arrêté ou ça coule encore ?
Ben, ça s'est arrêté, mais je ne comprends pas ce qui m'arrive, écoutez, vous pouvez venir, en plus il faut que je parte, j'ai une grosse journée au bureau ? Je vous donne mon adresse ?
Venir ? Mais ça va pas être possible aujourd'hui Madaaaame !
Quoi ? Mais c'est pas possible ? Je vous en prie, Monsieur, faites votre maximum ? Vous n'avez pas un petit créneau ? Ecoutez, j'oublie le bureau, je vous attends, mais je vous en prie faites votre possible ?
Alors, je vais voir, j'ai peut-être une possibilité vers midi... peut-être ? Donnez-moi votre adresse et votre téléphone, je vous appelle si je ne peux pas venir à midi, mais je fais le maximum !
Merci Monsieur, merci !!!!
Ouf, un professionnel va venir et me sauver...
D'ici là, téléphoner au bureau, appeller ensuite une amie pour qu'elle puisse prendre les gosses pour les amener à l'école, jeter tous les vêtements dans la machine à laver et quasiment à poil, tenter de nettoyer cette horreur.
Attendre. Attendre. "Il" ne rappelle pas, tout va bien, "il" va passer comme promis. Commencer à se dire qu'on n'aurait pas dû parler d'urgence car ça va faire monter la facture...
Midi sonne, pas de plombier. Midi trente, treize heures.
Rappeler. "Il" est sur messagerie. Laisser un message courtois mais éploré, s'il-vous-plait dites-moi où vous êtes ?!!
Avoir envie de faire pipi et y aller dans la baignoire, la seule chose encore propre dans la maison.
Sombrer dans la dépression. Puis passer par la phase haineuse, après avoir laissé un troisième message sur le coup des 14 h. Envisager le pire, plus jamais un plombier ne passera chez moi, mon assurance, l'ais-je bien payée ? Ce soir, tout le monde dort à l'hôtel ?
17 h. Silence radio du plombier.
La victime du trausme est à la fois abattue, désespérée, seule au monde, a tenté sans succès de faire une réparation de fortune qui s'est transformé de nouveau en amère tragédie, affamée et déshydratée, n'ayant rien pu avaler de la journée. La victime rejetée devient bourreau actif en pensée : le procès qu'on va coller à l'entrepreneur qui a construit cette foutue barraque. Les pires supplices qu'on va infliger au plombier. Et puis, on va bien voir au moment de payer, tiens !
18 h, les gosses sont en sécurité chez la copine. Toujours pas de nouvelles du plombier, mais le voisin du dessous, à peine rentré du bureau, est venu faire un foin pas possible... Enveloppée dans un peignoir, on finit par lui huler d'aller se faire pendre à parler comme ça. Merde !
Quand, à 19h15... au moment où on a bouclé un sac pour passer une nuit lugubre ailleurs, "ça sonne à la porte..."
Visiophone. Une tête comme une lune gibeuse dans l'écran.
C'est quoi ?
C'est le plombier Madame !
Je vous ouvre ! Ton aigü, voix qui déraille...
Alors qu'on était sur le point de le dénoncer aux flics, le plombier est accueilli à peignoir ouvert comme un sauveur.
En plus, cet homme-là, la merde ne lui fait pas peur et il plonge direct sous la lunette en soufflant. Et en racontant qu'il n'a pas pu passer plus tôt. Ben ça, on s'en était rendu compte. Sort des outils, une lampe, sonde, souffle à nouveau, allume un mégot puant encore plus que la flotte.
Ce doit être un système anti-odeurs chez les plombiers, ces mégots puants....
Je peux vous aider ? Prête à tout.
Non, ça va aller, c'est pas terrible votre installation. Je vais faire une réparation qui va tenir mais à mon avis, va falloir penser à revoir tout le système de drainage.
Ahhh bon ?
Voilà, c'est bon. Remballe ses outils, s'essuie les mains sur une belle serviette éponge qu'on a courru lui dénicher.
Bon, ça fait 150 Euros.
Quoi ?
Ben, oui, 60 Euros de déplacement plus la réparation. Mais ça tiendra, vous inquiétez pas hein !
A ce stade, il aurait pu demander 1 500 Euros, c'est du kif. On est prêt à tout pour en finir avec le trausme et l'acteur principal du sur-trausme.
On va pouvoir reprendre une vie normale....
Conclusion : ce que les plombiers et autres corps de métier du bâtiment font de manière instinctive, et depuis des générations de père en fils, les professionnels et autres experts plus "intellectuels" (avocats en général, certains toubibs, quelques dentistes et puis des prestataires de toutes sortes) l'apprennent en stratégie afin de créer de la valeur ajoutée à de piètres productions et faire monter les prix.
Selon le bon vieux principe de la douleur et du plaisir, de la haine et de l'amour, du plus j'en chie, plus je paie.
> Mon conseil : Sachez le !
> Mon conseil numéro deux : si vous avez l'habitude de livrer en temps et en heure un travail parfait à un client peu généreux, mettez le pied sur le frein et commencez-donc à le faire souffrir.
Plus c'est long, plus c'est attendu. Plus c'est attendu, plus c'est irréprochable à l'arrivée et plus la facture devient souple à payer.
Il manque un truc ? Ah mais c'était pas prévu. D'accord pour le faire, mais ça sera en plus ! Vous voulez le faire ? Très bien, faites-le. Aucun problème.
Le client tâche de s'en sortir seul, n'y arrive pas, en chie des carrés de chapeaux, réalise que c'est un métier, rappelle et dit qu'il est d'accord pour payer...
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