Planetargonautes : "à quoi sert le Salon du Livre ?"
Cath : "à faire des rencontres, à prendre mon pied !"
Mission accomplie avec l'interview par Philippe-Jean Catinchi (qui touche sa bille !) de Joann Sfar, ce vendredi jour d'ouverture du Salon 2007. Joann, déjà envisagé ICI, auteur de BD, solaire, cultivé, drôle et humble, conteur infatigable.
Et depuis février, rapporteur ou "Greffier" du procès de Charlie qui vient de se conclure ce jeudi 22 mars par la relaxe de Philippe Val.
L'actualité de Joann est riche ces jours-ci : la sortie de Greffier (< ci-contre des extraits du procès de Charlie jour après jour en BD), un nouveau tome du Bestiaire Amoureux, la préparation des carnets suite à ses voyages au Japon et aux US.
Mais revenons de suite au sujet qui nous tient à coeur : l'affaire des "12 caricatures".
Joann Sfar nous raconte :
Tout commence en 2005 avec un écrivain Danois, Kåre Bluitgen, se plaignant publiquement que personne n'ose illustrer son livre pour enfants intitulé : "Le Coran et la Vie du Prophète Mahomet" (l'assassinat de Théo Van Gogh en Hollande est encore frais dans les mémoires).
En réponse, au nom de la liberté de la presse et contre l'auto-censure, l'hebdomadaire danois, le Jyllands-Posten (équivalent de notre "Express") décide de faire appel à divers dessinateurs et reçoit des dessins de Mahomet, qui sont publiés en septembre 2005.
Rien ne se produit de suite mais, sous la cendre des apparences, le feu couve, orchestré par des fondamentalistes danois (la Société Islamique du Danemark). Téléguidés par la Syrie et l'Iran, ils manipulent l'opinion et font circuler de fausses caricatures, faites de toutes pièces, au milieu des originales, dont celles de Mahomet avec un groin de cochon, Mahomet pédophile, un musulman sodomisé par un chien.
Grossière manoeuvre qui fonctionne comme on a pu le constater !
En France, début 2006, le quotidien France Soir publie les caricatures en soutien à la presse danoise et son boss, Jacques Lefranc, est immédiatement limogé.
Par solidarité et par principe, au nom du droit à la provocation et de la laïcité, plusieurs journaux reprennent les caricatures dont Charlie Hebdo, avec une nouvelle caricature de Cabu en première page, représentant Mahomet se tenant le turban et soupirant : "C'est dur d'être aimé par des cons…"
"L'affaire" enfle, la Mosquée de Paris et l'Union des Organisations Islamiques de France s'agitent en tous sens, brouhaha dans lequel s'engouffrent d'un même élan zélotes et curetons...
Le Canard Enchainé décrit à merveille le grand bazar qui a gagné la planète : "On y trouve en vrac les pays du Golfe et l'Égypte, qui ont été dans les premiers à attiser le feu pour faire croire qu'ils sont plus musulmans que leurs islamistes. Le Pakistan, qui veut donner des gages à ceux qui trouvent le gouvernement plus prés de Bush que d'Allah. La Syrie, pays laïque peu connu pour sa grande piété ni pour ses manifestations de rues, qui su créer en un instant, à Damas comme au Liban, des cortèges très «spontanés» de «croyants meurtris» qui brûlent des ambassades et des drapeaux à la demande. On y trouve aussi les Palestiniens et surtout l'Iran, qui en profite pour en rajouter, espérant gagner ainsi des points dans la crise sur le nucléaire. Ou encore le Vatican, qui, par son soutien, défend sa propre chapelle, ou Bush le Pieux et Blair le Tartuffe, qui pour cause d'Iraq, s'indignent de ces caricatures «totalement offensantes pour l'Islam»".
Entretemps, les intéressés dont Philippe Val sont menacés de mort régulièrement, mis sous protection policière et tout le merdier.
Début février 2007, le procès démarre dans la salle exigue du Tribunal Correctionnel de Paris. De fait, les débats du procès de Charlie Hebdo ne pouvant être retransmis, il faut couvrir l'affaire à tous prix !
Redevenant dessinateur pour Charlie, Joann, qui n'est ni journaliste ni dessinateur de presse, rend compte de l’intégralité des échanges avec sa plume et sa mémoire, afin d'ouvrir un débat philosophique auprès du plus grand nombre.
Car, oui, ceux qui crient le plus fort ne sont nullement représentatifs des musulmans de France qui souhaitent être traités comme des "citoyens normaux". Ils ont été pris en otage par des extrêmistes, alors que leur Islam, humble et familial, est tout-à-fait compatible avec la République.
A qui profite le crime de la différenciation ? A ceux qui pratiquent le mépris de l'autre, toutes tendances confondues, y compris la droite et l'extrême-droite qui trouvent ici un terreau fertile pour y cultiver xénophobie et terreur de l'autre.
Charlie a gagné son procés. Philippe Val est relaxé le 22 mars. En cette occasion, le Recteur de la Grande Mosquée déclare : "c'est une décision qui n'humilie personne." Ce procés était le premier, en Europe, à traiter de la question des caricatures. C'est un signe fort pour la liberté de la presse Outre-Méditerranée également. Mais l'exercice a démontré à quel point on peut rendre la vie difficile à un journal...
La Ligue Islamique Mondiale aurait souhaité museler la liberté d'expression en lançant l'idée d'une loi contre le blasphème (pour rappel, la notion de "délit de blasphème" est abolie dans notre pays depuis 1905) (voir la vidéo de son avocat ICI)
Manipulant l'opinion, elle a honteusement établi un parallèle entre les caricatures de Mahomet et les affiches de propagandes anti-juives. Or il s'agit bien de deux choses différentes : la caricature de la représentation divine d'une part, et l'atteinte à une race d'hommes et de femmes "en vie", de l'autre.
Réplique d'Elisabeth Badinter durant le procés : "Si vous cédez, c'est le silence qui va s'abattre sur le pays" (voir sa vidéo ICI)
Le dessin de Joann Sfar est là pour servir et transcrire l'histoire. Il est l'expression et l'instrument. Mais l'histoire, ce sont les personnages, c'est nous qui l'écrivons minute après minute.
Joann aime également à parler du plaisir qui, sans pêché, ne serait plus aussi plaisant !...
Les trois religions monothéistes ont introduit la notion de pêché : juifs et chrétiens avec la notion de culpabilité, musulmans avec la notion de la honte.
Mais elles ont également inventé beaucoup d'occasions de transgresser le pêché en s'amusant de façon illicite.
En conclusion, l'intérêt majeur de la religion serait, selon lui, de pimenter les plaisirs et de nourir les fantasmes ! :)
Et d'évoquer l'Ile des Femmes récemment imaginée en Iran où elles peuvent "s'ébattre" en toute liberté vestimentaire et de moeurs (le rêve de tout homme !).
Ou les contes des Mille et Une Nuits, pour Joan Sfar, le plus grand apport littéraire au monde musulman (noter le paradoxe de cette histoire, à la lumière de notre modernité : une femme utilise la force des mots afin d'échapper à une mise à mort certaine).
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Joann Sfar, Greffier, chez Delcourt Editeur.
240 pages en couleurs, comprenant une compilation des chroniques de Joann Sfar il y a deux ans dans Charlie.
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Morceaux choisis : onze extraits du réquisitoire de Madame le Procureur Anne de Fontette, au procès de Charlie Hebdo (8 février 2007) / cliquer sur la vignette pour l'agrandir >>>
"Charlies a publié ces dessins pour soutenir les danois dont les ambassades brûlaient dans le monde entier et par solidarité avec le directeur de France Soir qui venait d'être limogé"
"Charlie sera le seul journal poursuivi sur ce dossier alors que Le Monde et l'Express ont publié ces mêmes dessins"
"Une caricature consiste à mettre en exergue ce qui ne va pas. Elle n'est pas le reflet de la réalité. Elle exprime une opinion"
" Doit-on interdire à notre presse démocratique la critique des religions ?"
"Ces dessins dénoncent l'utilisation abusive du nom de Dieu. Ce ne sont pas les fidèles mais le dogme dévoyé qui est visé"
"Ne pas lire dans le dessin de Cabu "les intégristes sont des cons", c'est nier l'évidence"
"Quand on attaquait Monseigneur Lefèvre, représentant de l'église catholique, les chrétiens dans leur ensemble ne se sentaient pas visés"
"La presse est le chien de garde de notre démocratie"
"Si tous les musulmans de France se reconnaissent dans le portrait de quatre kamikazes bardés d'explosifs, alors nous avons un vrai problème de société"
"La critique d'une religion n'est pas réprimée en droit français"
"Le parquet revêt pour cette affaire sa robe d'avocat. Le parquet demande la relaxe"
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