Comme chaque année, à la même époque, les "fêtes" approchent. Ne comptant plus la quantité de nez qui se froncent d'horreur à cette perspective, ni les articles de presse sur le "stress" occasionné par les fêtes de fin d'année, je me suis dit qu'il serait bon de s'interroger sur le sens de la fête en général et sur sa lente mais assurée disparition dans nos pays occidentaux en particulier.
Petit retour en arrière de quelques milliers d'année. Depuis le Paléolithique, les humains se réunissent pour ripailler, danser, se déguiser, se maquiller, et ce durant des jours et des jours.
Ces réunions avaient pour but de resserrer les liens, de nouer des alliances, de rapprocher hommes et femmes en âge de procréer. On a retrouvé dans des grottes en Angleterre des peintures rupestres de danseuses endiablées datant d'environ 10 000 ans.
Il n'existe pas une seule civilisation connue qui n'ait pratiqué la fête comme un moment essentiel de la vie : on a même évalué qu'un jour sur quatre était consacré à préparer une fête, tailler des instruments de musique, assembler parures et costumes, chasser, cueillir, récolter, distiller afin d'offrir un festin inimaginable de nos jours.
Nos ancêtes vivaient pour faire la fête et pas autrement...
Tout était prétexte à fête. Plus près de nous, en Europe, on faisait la fête pour honorer les saints, à l'occasion de foires, de funérailles, de l'arrivée du printemps, pour contribuer à exorciser les mauvais esprits, voire même réduire le "gap" entre les castes (riches déguisés en pauvres et inversement), et que sais-je encore !
La plupart des fêtes chez nous ou ailleurs (Aborigènes d'Australie, Indiens d'Amérique, Polynésiens, Indiens, etc...) procèdent d'une origine païenne devenue ensuite religieuse. La ligne est ténue entre la religion quelle qu'elle soit et la récréation proprement dite : que ce soient les fêtes dyonisaques ou le carnaval, il s'agit d'établir ou de rétablir le contact avec les dieux, Dieu, les saints, ou les rites de la vie quotidienne (*) en dansant et en chantant. Bref en faisant le plus de bruit possible. Les éventuels débordements alcooliques étaient et sont encore assimilés plutôt à une forme d'extase qu'à une bonne grosse beuverie.
Alors, que nous arrive-t'il aujourd'hui avec la raréfaction des occasions de célébrer (quoi ?) et la sinistrose qui s'empare de nous insidieusement quand une "fête" se profile sur le calendrier ?
Plusieurs pistes :
Les pouvoirs (politiques, religieux) ont contribué, au fil des siècles, à faire disparaitre fêtes et célébrations, à leurs yeux trop belles occasions de débordements, de réformes, de critiques de l'ordre établi, voire de révolutions. Cette crainte n'était pas injustifiée. Certains carnavals se sont transformés en soulèvements d'esclaves notamment dans les Caraïbbes ou en Afrique occidentale. On dit même que notre tradition festive aurait abouti aux mouvements de masse lors de la Révolution Française. Révolution Française qui s'empressa d'ailleurs de supprimer le carnaval, dès 1796, pour le remplacer par une fête révolutionnaire !
La révolution industrielle ensuite a sérieusement écorné le calendrier des fêtes, tant pratiquées dans le monde rural : en ville, l'ouvrier étant censé travailler 6 jours sur 7 et se reposer le dimanche pour prier le ciel... ou dormir. Plus question de se réunir pour danser autour d'un feu de joie ! Grosso modo, la musique s'est éteinte peu à peu au XIXème siècle
... et de participants actifs à la fête, nous en sommes devenus les spectateurs passifs, vaguement gênés d'être là, dans un rôle qui ne nous est pas naturel.
Pourtant, un trait si profondément ancré en notre humanité ne peut tout simplement pas être éradiqué. D'où les immenses rassemblements rock'n roll des années 50 et 60, et la "carnavalisation" des grands évènements sportifs, où supporters se griment, chantent et dansent aux couleurs et au son de leur équipe. Et puis toutes ces nouvelles fêtes inventées ici et là : la Love Parade, la Gay Pride, les rave parties, les fêtes entre voisins, les fêtes de rues.
Ayant oublié nos traditions rurales, nous inventons instinctivement d'autres occasions de nous réunir pour nous amuser. A la différence que ces réunions de masse d'inconnus n'ont plus grand chose à voir avec l'esprit de la fête ancestral.
Je sais que nous portons en nous l'ADN de la joie collective, mais sommes peut-être trop embarrassés pour le mettre de nouveau en pratique, ayant trop peur de passer pour des fous !
Et pourtant, l'esprit de la fête ne serait-il pas fondamental pour bâtir un avenir meilleur et plus paisible, en initiant et multipliant les occasions de se rencontrer et de rire ensemble, autrement que via le travail ou les sites internet ?
Pour ceux qui y étaient, rappelez-vous de la grande traversée de Paris, un certain 12 juillet 98, avec une joie, une paix, une harmonie sans précédent ?
J'ai vu l'autre soir dans "Ce soir ou jamais" (France3), une jeune écrivaine d'origine asiatique (pardon à elle de ne pas avoir noté son nom) qui préconisait le carnaval et la fête auprès des jeunes, de banlieues ou pas, et pour qui les occasions de rigoler ne sont pas légions. Les brillants esprits autour de la table (dont Alain Finkielkraut...) se sont proprement foutus d'elle, perdant une occasion d'être intelligents pour une fois ! Car cette disparition de l'esprit de la fête ne vous semble-t'il pas coïncider avec la systématisation de la violence dès qu'il y a rassemblement de foule à présent ?
Et vous, qu'en pensez-vous ?
(*) certaines formes de samba sont issues de danses collectives dont les pas proviennent d'une pratique utilitaire : le samba de coco, par exemple, résulte des pas, des rythmes et des chants qui accompagnent le battage de la terre avec les pieds pour la construction de maisons en terre battue.
iconographie : musée du quai branly
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